Traductrice,
dramaturge et enseignante en Études théâtrales,
Alexandra Moreira da Silva vient de traduire avec Jorgé
Tomé "Au-delà les étoiles sont
notre maison". |
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Quelles sont vos activités théâtrales
au Portugal ?
J'ai collaboré avec plusieurs compagnies
et metteurs en scène en tant que traductrice et dramaturge
au Portugal et en Espagne, et maintenant en France. J'ai
également enseigné à l'Ecole supérieure de Théâtre de Porto
et à l'Université. Voilà pour me situer.
- Quelle est la situation du théâtre
au Portugal ?
Il y a différents aspects : les compagnies,
les auteurs, les textes… Ce sont trois aspects différents
et très importants. En ce qui concerne les auteurs, on dit
qu'au Portugal, il n'y a pas de tradition théâtrale parce
que le Portugal serait plutôt un pays de poètes. Je ne suis
pas du tout d'accord avec cette idée. Il n'y a peut-être
pas une tradition théâtrale aussi importante qu'en France
ou en Allemagne, mais il y a depuis quelque temps beaucoup
d'auteurs qui écrivent pour le théâtre et qui essayent de
(faire) monter leurs textes. Je pense à Jacinto Lucas Pires,
Jorge Silva Melo, Mario de Carvalho, Regina Guimaraes, Carlos
Pessoa, Luisa Costa Gomes, Abel Neves, parmi d'autres. Il
ne faut pas oublier qu'il y a eu au Portugal une dictature
entre 1926 et 1974, dictature qui a imposé une censure dans
tous les domaines artistiques. Ainsi, depuis la Révolution
des œillets, on assiste à une production beaucoup plus importante
de textes pour le théâtre. Il me semble qu'aujourd'hui l'un
des problèmes les plus importants est celui de l'édition
: un texte qui n'est pas publié disparaît. Il faut savoir
que les textes (portugais ou traduits) ne sont pas obligatoirement
publiés. Les textes ne circulent pas parce qu'ils ne sont
pas forcément publiés ni traduits dans d'autres langues.
Il y a surtout deux maisons d'édition qui publient du théâtre
: Cotovia et Campo das Letras. Il y a quelques années, le
Dramat, Centre des dramaturgies contemporaines, établissement
lié au Théâtre national de Porto, a été créé afin de faire
connaître les dramaturgies actuelles. Des ateliers d'écriture
sont notamment organisés. De plus, le Dramat a créé une
collection de livres consacrée au théâtre dans laquelle
sont publiés des pièces et des essais. En ce qui concerne
les compagnies, il y a eu depuis quinze ans un développement
très important de la pratique théâtrale. Il existe deux
écoles supérieures de théâtre, l'une à Porto, l'autre à
Lisbonne, mais aussi une licence d'Etudes théâtrales à Evora,
des écoles professionnelles qui ont formé de nouvelles générations
d'acteurs, de metteurs en scène et de scénographes. Exceptées
certaines compagnies reconnues (Teatro de Cornucopia, A
Barraca, A Comuna, Seiva Trupe, etc.), d'autres ont été
créées par cette nouvelle génération de gens de théâtre
(Artistas unidos, Assédio, Teatro So, etc.). Il y a aussi
ce qu'on appelle les compagnies de la décentralisation qui
ne se trouvent ni à Lisbonne ni à Porto (par exemples Cena
à Braga, Teatro do Noroeste à Viana do Castelo, CENDREV
à Evora). Toutes ces compagnies ont permis la création et
le développement d'un nouveau public de théâtre. Voici quelques
aspects très synthétiques, bien sûr non exhaustifs, de la
situation du théâtre au Portugal.
- Si on essaie de
faire une espèce de typologie des auteurs portugais actuels,
quels sont les thèmes traités par ces auteurs, qu'écrivent-ils
actuellement ?
Une typologie ? Ce n'est pas simple
à réaliser. Certains sujets sont récurrents. Il y a, par
exemple, un certain nombre d'auteurs qui, depuis les années
80, ont écrit sur l'histoire récente du Portugal (la Révolution
de 1974, les anciennes colonies…). La condition de la femme
est un autre sujet souvent traité, surtout par des femmes
auteurs (Helia Correira, Isabel Medina, Luisa Costa Gomes,
Eduarda Dionisio). La nouvelle génération s'inspire beaucoup
des sujets qui circulent dans les textes européens contemporains
qui sont en fait les sujets d'aujourd'hui (la violence urbaine,
le chômage, la guerre, la famille, etc.). Abel Neves, que
j'ai traduit récemment, essaie de parler du quotidien. Il
utilise une langue poétique en se projetant dans un monde
autre, plus ample, plus mystérieux, l'univers. Ses textes
parlent souvent d'étoiles, de planètes, mais aussi des relations
humaines, du théâtre, de nos petites habitudes de tous les
jours ; ses personnages sont en quête d'harmonie et d'absolu.
- Votre regard
sur le théâtre qui se pratique en France, qu'est-ce que
vous en diriez, vous qui avez un regard extérieur, plus
"européen" ?
Très brièvement, je dirais qu'il
se passe beaucoup de choses à Paris. Je ne peux pas parler
du théâtre en France parce que je ne connais que partiellement
sa réalité parisienne. Le grand atout de la scène parisienne,
c'est qu'elle présente des spectacles très variés, qu'ils
soient français, allemands, bulgares, hongrois... J'ai l'impression
que c'est une vieille tradition française que celle d'accueillir
des expressions artistiques étrangères, cela me semble être
très positif. Par contre, en ce qui concerne les formes
de théâtre que l'on peut considérer comme "expérimentales",
j'ai l'impression qu'elles sont beaucoup moins présentes
à Paris qu'à Berlin, par exemple, où il y a beaucoup de
petites structures alternatives. Ce qui m'étonne toujours
à Paris, c'est son vaste public. Chaque fois que je vais
au théâtre, la salle est pleine ou presque. C'est un vraiment
étonnant, c'est aussi la preuve, bien sûr, qu'il y a une
grande tradition théâtrale en France et plus particulièrement
à Paris. J'ai entendu parler de crise d'auteurs de théâtre
en France et pourtant, en ce moment, il y a un certain nombre
d'auteurs intéressants qui écrivent, sont publiés et montés.
Ce n'est peut-être pas la situation idéale, mais si l'on
compare avec celle des auteurs contemporains qui se trouvent
dans d'autres pays d'Europe, c'est quand même très positif…
- Mais c'est
un problème de "système". L'an passé, il y a eu sept ou
huit Tchékhov. Que Tchékhov soit un grand dramaturge, on
est bien d'accord, mais on a un peu l'impression qu'il n'y
a pas d'auteurs contemporains et qu'il n'y a plus personne
qui parle du monde actuel. C'est quelque chose qui a maintenant
été entendu par les metteurs en scène mais il y a eu une
période où il y avait une sorte de "dictature" de metteur
en scène, peut importait le texte, du moment que c'était
un spectacle.
J'ai l'impression que ça change.
Il y a, par exemple, des auteurs en résidence dans les théâtres,
qui travaillent directement avec les metteurs en scène.
Il y a de plus en plus une reconnaissance de l'importance
du texte et un respect du travail autour du matériau textuel.
Je crois que le théâtre n'est pas malade, bien au contraire.
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