Situations du théâtre
La revue en ligne
d'Actes Sud


NUMÉRO 2



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AVIGNON 2002

OPPOSITIONS





© Actes Sud

En attendant Molière... ou le théâtre prémonitoire



"Le violent écho d'une serrure qu'on referme. Une brèche dans les ruines du théâtre. A quelle époque sommes-nous ? " Une incarnation de l'enthousiasme politique prend fin. Avec lui quelque chose s'éteint du rêve du monde"
dit Georges Lavaudant."

Claude-Henri Buffard,
texte pour le programme de La Mort de Danton
à l'Odéon, théâtre de l'Europe


"Le théâtre est l'espace de l'imaginaire de la cité et en même temps celui de la construction du sens, lieu où temps et langue ne seraient pas détruits"


Michel Deutsch
Du théâtre n°5



C'est en parlant avec Odile Quirot que l'idée de consacrer un numéro de Positions au théâtre s'est imposée comme une évidence. C'était au lendemain de l'irruption de Le Pen sur la scène politique française. On se demandait ce qui allait se passer au Festival d'Avignon après un tel séisme comme si tout d'un coup le théâtre se retrouvait au centre de la Cité.
On avait simplement oublié qu'il l'était. A y regarder de près les exemples abondaient. Ainsi très curieusement, un spectacle qui se jouait depuis quelques temps, La Mort de Danton de Buchner monté par Lavaudant, disait déjà sur la politique et la république quelque chose que personne n'avait pressentie.
Et quelques jours plus tard à Paris, dans le magnifique défilé du 1er Mai, le Théâtre du Soleil associait tout naturellement sur un calicot les mots "théâtre" et "république"...

Dans le Monde diplomatique de juin, un étonnant extrait d'un livre de Stéphane Beaud et Michel Pialoux, La fabrique de la haine : contre les politiques sécuritaires et l'appartheid social (éd. L'esprit frappeur/Dagorno) racontait comment le 23 mars 2002 au Théâtre de Chelles, un débat sur le "sort des salariés face aux restructurations des entreprises" avait eu lieu avant la présentation de la pièce 501 blues jouée par cinq ouvrières de l'usine Levi's de la Bassée (Nord) licenciées avec 500 de leurs camarades. Un débat qui montrait les fractures à l'intérieur de la classe ouvrière, trois générations dont le dernière originaire des cités paupérisées et de l'immigration refusent tout héritage du monde ouvrier et rêvent d'une réussite individuelle de petit patron. Les années 1980 n'ont pas seulement vu le tournant de la rigueur, l'apprentissage par la gauche du pouvoir, la modernisation conservatrice, la montée inexorable du chômage. Elles ont aussi consacré la disqualification du mode de résistance des classes populaires et la réhabilitation de l'entreprise, la glorification des success stories à la Tapie, le culte de l'argent et de l'individualisme, qui se sont ensuite diffusés dans les "banlieues". Que le lieu dans lequel un tel constat a pu être fait soit un théâtre avait quelque chose d'exemplaire alors que la doxa déniait à la classe ouvrière jusqu'au droit d'exister.

En mai à Marseille, le Théâtre Toursky, partenaire de L'Institut international du Théâtre Méditerranéen, a organisé une rencontre Dialogue des civilisations, pour continuer à créer grâce au théâtre des événements culturels liés aux tragédies en cours (Palestine, Irak...). Parmi les participants, le directeur du Théâtre populaire de Mostagnem qui souhaite monter la Bonne Ame de Se-Tchouan de Brecht en arabe, et Said Hilmi Ibrahimi, un acteur algérien, ami de l'écrivain Malek Haddad : quelques jours de paix et presque d'insouciance alors que les massacres continuaient et redoublaient de férocité dans leur pays quarante ans après l'Indépendance.

Entendu un matin sur France-Culture : Jean Vilar interrogé par Agnès Varda, raconte que la dictature du metteur en scène pratiquée par le Cartel, devait être abolie, que la troupe, la compagnie étaient les piliers du théâtre et qu'être acteur consistait à aller parler avec le public tant dans les cantines des usines que dans les comités d'entreprise, enfin qu'il fallait construire plusieurs théâtres de 3000 places... ce qu'heureusement on ne fit pas ! Une belle leçon de choses : il faut savoir changer à temps, entreprendre à temps les réformes indispensable, rompre avec la tradition, les habitudes... Pour sauvegarder cet instrument chaque jour plus singulier où des êtres vivants font face à d'autres êtres vivants alors que le virtuel assoit son hégémonie.... jusque dans la guerre où les dommages ne seraient plus que collatéraux.

Avec une partie audio, cette seconde livraison de notre revue dédiée à Didier Georges Gabily, - auteur, metteur en scène, chef de troupe, disparu prématurément en 1996 -, pour qui le vrai théâtre était un "plateau-monde", tentera donc de cerner l'état actuel du théâtre en France, mais aussi en Europe, tant par des textes théoriques (François Regnault...) et des entretiens de fond (Patrick Sommier, Geneviève Fraisse... ), des inédits (Laurent Gaudé...) que par des propos recueillis par Claire David, responsable d'Actes-Sud-Papiers, au gré de ses rencontres en Avignon.
"Work in progress", ce numéro spécial, ne sera donc vraiment achevé qu'à la fin juillet.
Mikhaïl Boulgakov, comme nous le rappelle Patrick Sommier écrivait dans son roman La Vie de M. de Molière qu'il y avait un temps pour les Lully et un temps pour les Molière. En attendant Molière...


Michel Parfenov
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