La
revue en ligne
d'Actes Sud
NUMÉRO
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En
attendant Molière... ou le théâtre prémonitoire |
"Le violent écho d'une serrure
qu'on referme. Une brèche dans les ruines du théâtre.
A quelle époque sommes-nous ? " Une incarnation
de l'enthousiasme politique prend fin. Avec lui quelque
chose s'éteint du rêve du monde"
dit Georges Lavaudant."
Claude-Henri Buffard,
texte pour le programme de La Mort de Danton
à l'Odéon, théâtre de l'Europe
"Le théâtre est l'espace de l'imaginaire
de la cité et en même temps celui de la construction
du sens, lieu où temps et langue ne seraient pas
détruits"
Michel Deutsch
Du théâtre n°5
C'est
en parlant avec Odile Quirot que l'idée de consacrer un numéro
de Positions au théâtre s'est imposée comme une évidence.
C'était au lendemain de l'irruption de Le Pen sur la scène
politique française. On se demandait ce qui allait se passer
au Festival d'Avignon après un tel séisme comme si tout d'un
coup le théâtre se retrouvait au centre de la Cité.
On avait simplement oublié qu'il l'était. A y regarder de
près les exemples abondaient. Ainsi très curieusement, un
spectacle qui se jouait depuis quelques temps, La Mort
de Danton de Buchner monté par Lavaudant, disait déjà
sur la politique et la république quelque chose que personne
n'avait pressentie.
Et quelques jours plus tard à Paris, dans le magnifique défilé
du 1er Mai, le Théâtre du Soleil associait tout naturellement
sur un calicot les mots "théâtre" et "république"...
Dans le Monde diplomatique de juin, un étonnant
extrait d'un livre de Stéphane Beaud et Michel Pialoux, La
fabrique de la haine : contre les politiques sécuritaires
et l'appartheid social (éd. L'esprit frappeur/Dagorno)
racontait comment le 23 mars 2002 au Théâtre de Chelles, un
débat sur le "sort des salariés face aux restructurations
des entreprises" avait eu lieu avant la présentation de la
pièce 501 blues jouée par cinq ouvrières de l'usine
Levi's de la Bassée (Nord) licenciées avec 500 de leurs camarades.
Un débat qui montrait les fractures à l'intérieur de la classe
ouvrière, trois générations dont le dernière originaire des
cités paupérisées et de l'immigration refusent tout héritage
du monde ouvrier et rêvent d'une réussite individuelle de
petit patron. Les années 1980 n'ont pas seulement vu le tournant
de la rigueur, l'apprentissage par la gauche du pouvoir, la
modernisation conservatrice, la montée inexorable du chômage.
Elles ont aussi consacré la disqualification du mode de résistance
des classes populaires et la réhabilitation de l'entreprise,
la glorification des success stories à la Tapie, le culte
de l'argent et de l'individualisme, qui se sont ensuite diffusés
dans les "banlieues". Que le lieu dans lequel un tel constat
a pu être fait soit un théâtre avait quelque chose d'exemplaire
alors que la doxa déniait à la classe ouvrière jusqu'au droit
d'exister.
En mai à Marseille, le Théâtre Toursky, partenaire de L'Institut
international du Théâtre Méditerranéen, a organisé une rencontre
Dialogue des civilisations, pour continuer à créer
grâce au théâtre des événements culturels liés aux tragédies
en cours (Palestine, Irak...). Parmi les participants, le
directeur du Théâtre populaire de Mostagnem qui souhaite monter
la Bonne Ame de Se-Tchouan de Brecht en arabe, et Said
Hilmi Ibrahimi, un acteur algérien, ami de l'écrivain Malek
Haddad : quelques jours de paix et presque d'insouciance alors
que les massacres continuaient et redoublaient de férocité
dans leur pays quarante ans après l'Indépendance.
Entendu un matin sur France-Culture : Jean Vilar interrogé
par Agnès Varda, raconte que la dictature du metteur en scène
pratiquée par le Cartel, devait être abolie, que la troupe,
la compagnie étaient les piliers du théâtre et qu'être acteur
consistait à aller parler avec le public tant dans les cantines
des usines que dans les comités d'entreprise, enfin qu'il
fallait construire plusieurs théâtres de 3000 places... ce
qu'heureusement on ne fit pas ! Une belle leçon de choses
: il faut savoir changer à temps, entreprendre à temps les
réformes indispensable, rompre avec la tradition, les habitudes...
Pour sauvegarder cet instrument chaque jour plus singulier
où des êtres vivants font face à d'autres êtres vivants alors
que le virtuel assoit son hégémonie.... jusque dans la guerre
où les dommages ne seraient plus que collatéraux.
Avec une partie audio, cette seconde livraison de notre revue
dédiée à Didier Georges Gabily, - auteur, metteur en scène,
chef de troupe, disparu prématurément en 1996 -, pour qui
le vrai théâtre était un "plateau-monde", tentera donc de
cerner l'état actuel du théâtre en France, mais aussi en Europe,
tant par des textes théoriques (François Regnault...) et des
entretiens de fond (Patrick Sommier, Geneviève Fraisse...
), des inédits (Laurent Gaudé...) que par des propos recueillis
par Claire David, responsable d'Actes-Sud-Papiers, au gré
de ses rencontres en Avignon.
"Work in progress", ce numéro spécial, ne sera donc
vraiment achevé qu'à la fin juillet.
Mikhaïl Boulgakov, comme nous le rappelle Patrick Sommier
écrivait dans son roman La Vie de M. de Molière qu'il
y avait un temps pour les Lully et un temps pour les Molière.
En attendant Molière...
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