"[...] Je sais que les maîtres des mots n'ont nul
besoin de rhétorique devant l'éloquence du sang. C'est
pourquoi nos mots seront aussi simples que nos droits
: nous sommes nés sur cette terre, et de cette terre.
Nous n'avons pas connu d'autre mère, pas connu d'autre
langue maternelle que la sienne. Et lorsque nous avons
compris qu'elle porte trop d'histoire et trop de prophètes,
nous avons su que le pluralisme est un espace qui
embrasse largement et non une cellule de prison, que
personne n'a de monopole sur une terre, sur Dieu,
sur la mémoire. Nous savons aussi que l'histoire ne
peut se targuer ni d'équité, ni d'élégance. Notre
tâche pourtant, en tant qu'humains, est d'humaniser
cette histoire dont nous sommes simultanément les
victimes et le produit. Il n'est rien de plus manifeste
que la vérité palestinienne et la légitimité palestinienne
: ce pays est le nôtre, et cette petite partie est
une partie de notre terre natale, une terre natale
réelle et point mythique. Cette occupation est une
occupation étrangère qui ne peut échapper à l'acception
universelle du mot occupation, quel que soit le nombre
de titres de droits divins qu'elle invoque ; Dieu
n'est la propriété personnelle de personne. Nous avons
accepté les solutions politiques fondées sur un partage
de la vie sur cette terre, dans le cadre de deux Etats
pour deux peuples. Nous ne réclamons que notre droit
à une vie normale, à l'intérieur des frontières d'un
Etat indépendant, sur la terre occupée depuis 1967,
dont Jérusalem-Est, notre droit à une solution équitable
du problème des réfugiés, à la fin de l'installation
de colonies. C'est la seule voix réaliste vers la
paix qui mettra un terme au cercle vicieux du bain
de sang. L'état de nos affaires est d'une criante
évidence, il ne s'agit pas d'une lutte entre deux
existences, comme aimerait le montrer le gouvernement
israélien : eux ou nous. La question est d'en finir
avec une occupation. La résistance à l'occupation
n'est pas seulement un droit. C'est un devoir humain
et national qui nous fait passer de l'esclavage à
la liberté. Le chemin le plus court pour éviter d'autres
désastres et accéder à la paix est de libérer les
Palestiniens de l'occupation, et de libérer la société
israélienne de l'illusion d'un contrôle exercé sur
un autre peuple. L'occupation ne se contente pas de
nous priver des conditions élémentaires de la liberté,
elle va jusqu'à nous priver de l'essentiel même d'une
vie humaine digne, en déclarant la guerre permanente
à nos corps et à nos rêves, aux personnes, aux maisons,
aux arbres, en commettant des crimes de guerre. Elle
ne nous promet rien de mieux que l'apartheid et la
capacité du glaive à vaincre l'âme. Mais nous souffrons
d'un mal incurable qui s'appelle l'espoir. Espoir
de libération et d'indépendance. Espoir d'une vie
normale où nous ne serons ni héros, ni victimes. Espoir
de voir nos enfants aller sans danger à l'école. Espoir
pour une femme enceinte de donner naissance à un bébé
vivant, dans un hôpital, et pas à un enfant mort devant
un poste de contrôle militaire. Espoir que nos poètes
verront la beauté de la couleur rouge dans les roses
plutôt que dans le sang. Espoir que cette terre retrouvera
son nom original : terre d'amour et de paix. Merci
de porter avec nous le fardeau de cet espoir."
|