PARLEMENT
EUROPÉEN
Document de séance
15 juillet 2002
RAPPORT sur l'importance et le dynamisme du théâtre
et des arts du spectacle dans l'Europe élargie (2001/2199(INI))
Commission de la culture, de la jeunesse, de l'éducation,
des médias et des sports
Rapporteur:
Geneviève Fraisse
Philosophe, Geneviève Fraisse
est directrice de recherche au CNRS et "visiting professor"
à l'université de Rutgers (New Jersey-USA) et députée
européenne depuis juin 1999. Elle est membre et coordinatrice
de la commission de la culture, de la jeunesse, de
l'éducation et des sports et co-présidente de l'intergroupe
parlementaire Cinéma, politiques audiovisuelles et
propriété intellectuelle. Elle est également membre
de la commission droits des femmes et égalité des
chances et suppléante à la commission développement..
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EXPOSE DES MOTIFS
Le théâtre est la figure emblématique de l'ensemble
des arts du spectacle, musique, danse, cirque. C'est
pourquoi ce rapport a mis en avant le théâtre comme
la forme la plus européenne du spectacle vivant. Le
théâtre est né dans l'Antiquité grecque, son répertoire
commence avec Eschyle, Euripide, Sophocle, et se déploie
à l'âge classique aux quatre coins de l'Europe avec
Shakespeare et Molière, puis Tchekhov et Strindberg,
pour ne citer que les auteurs les plus joués du répertoire.
Le théâtre incarne donc la diversité linguistique, de
la Grèce à la Grande-Bretagne, de la France à la Suède.
Rappeler l'origine du théâtre sert aussi à désigner
le lieu où il s'inscrit d'emblée, dans l'espace public,
et plus précisément à l'intérieur de la démocratie.
Le théâtre est une des représentations de la vie démocratique.
C'est pourquoi, pour la diversité linguistique comme
pour le développement de la citoyenneté, l'Union européenne
doit s'attacher à accompagner le développement du spectacle
vivant. Cela a été fait jusqu'à présent de manière empirique,
la musique et le théâtre lyrique ayant été les premiers
à être reconnus. Les arts du spectacle ne sont pas une
industrie; ils ne requièrent en rien le traitement de
la création audiovisuelle. L'objectif énoncé jusqu'à
aujourd'hui par l'Union européenne de coopération culturelle
semble particulièrement approprié aux spectacles vivants.
En effet, les artistes sont soucieux de leur indépendance
et de leur singularité. Ils tissent des liens entre
eux, au gré d'une création, d'une rencontre, d'un projet.
Ils demandent à être aidés mais ils ne veulent pas être
guidés. La coopération culturelle est à l'image de ce
double besoin: il faut donc accompagner les artistes.
L'Union européenne peut le faire du point de vue de
la Communauté comme du point de vue de chaque Etat membre.
La responsabilité des Etats est engagée pour permettre
la circulation de la création au nom de la connaissance
de l'autre; la responsabilité de l'Union est de rendre
cette circulation possible. 1/ Spécificités
du secteur des arts du spectacle Des
arts constitutifs de l'identité européenne
Le théâtre, l'opéra, le cirque sont nés dans leur forme
moderne sur le continent européen. Le théâtre apparaît
au VIème siècle av. J.C en Grèce. L'opéra, naît en Italie
autour de 1600. Aux XVIIème et XVIIIème siècles, le
répertoire italien est joué à Bucarest, Cracovie, Prague,
Pozsony, Saint-Pétersbourg, Moscou; le répertoire allemand
est joué à Budapest, Ljubljana, Zagreb, Poznan, et Riga
où Wagner dirige un temps le théâtre Vitinghoff . Le
cirque moderne avec piste circulaire est né en Angleterre
en 1768. En 1924, la famille italienne Bogliono, devenue
Bouglione, invente un nouveau cirque. Ces quelques dates
dessinent une Europe unique et multiple. Le XXIème siècle
est à même de restituer la géographie de cette chronologie
grâce à la culture des langues et de la traduction,
et grâce aux voyages et aux technologies. Un
secteur non industriel subventionné
Les arts du spectacle couvrent un secteur non marchand
excluant tout bénéfice. Le financement des arts du spectacle,
à l'exception du cirque et des théâtres privés, provient
essentiellement de subventions publiques. Les arts du
spectacle restent une activité artisanale. Désormais,
beaucoup de spectacles mêlent transversalement jeu théâtral
et chorégraphie, chant lyrique et art du cirque... Ces
pratiques interdisciplinaires, ouvertes aux nouvelles
technologies, trouvent leur place dans les festivals
qui accueillent sans distinction danse, théâtre ou arts
de la rue… 2/ Etat des lieux
Un questionnaire a été adressé aux Etats membres et
aux pays candidats. Malgré la richesse des réponses,
l'absence de statistiques nationales et européennes
rend imprécis tout état des lieux des arts du spectacle.
Développement de la décentralisation, structures
et financements publics.
Les politiques de soutien aux arts du spectacle sont
en général définies par le gouvernement national. Certains
pays, tels la France, le Portugal et la Suède, sont
attachés à la centralisation. L'Allemagne, l'Autriche,
l'Espagne, les Pays-Bas, la Belgique et la Grande-Bretagne
privilégient la juridiction régionale. En Europe centrale
et orientale, notamment en Bulgarie, République tchèque,
Slovaquie, le transfert partiel des compétences aux
autorités régionales fut décidé après 1989, dans une
volonté de libération politique et artistique. Par ailleurs,
la mise en œuvre de l'action culturelle relève de plus
en plus des collectivités locales.
L'Espagne et le Portugal se singularisent par un important
théâtre privé. L'Europe centrale et orientale, jadis
sous le contrôle de l'Etat, connaît des expériences
de partenariat privé. Le cirque, excepté les compagnies
du cirque nouveau, rarement permanentes, se distingue
puisqu'il est constitué d'entreprises privées, souvent
familiales.
L'Etat finance en général 50% des dépenses publiques.
En Slovénie, Autriche, Communauté flamande de Belgique
et Islande, il est la principale source de financement;
aux Pays-Bas, en revanche, plus de 60% des subventions
publiques sont municipales.
Les subventions publiques obéissent à des critères disparates.
La qualité et l'innovation sont des objectifs évidents
mais d'autres priorités interviennent, le soutien aux
jeune public comme au Danemark, la promotion des échanges
internationaux, la rénovation des salles de spectacle,
etc. Les Etats de l'Union européenne semblent encore
peu concernés par la nécessité de faire circuler le
spectacle vivant. Un soutien inégal
selon les disciplines
Dans les Etats membres, les budgets sont restés stables
au cours de la dernière décennie; excepté l'Angleterre
qui a réorienté sa politique artistique, notamment pour
le financement du théâtre. Inversement, les pays d'Europe
centrale et orientale ont connu, en dix ans, des coupes
budgétaires importantes.
Les subventions publiques entre les différentes disciplines
des arts du spectacle révèlent de grandes disparités.
Le théâtre et la danse reçoivent une part conséquente.
Le théâtre pour enfants est soutenu dans les pays du
Nord, alors que le théâtre de marionnettes reste important
à l'Est. L'opéra est généreusement subventionné, mais
la tendance est à la réduction. Le théâtre lyrique coûte
cher, a une audience restreinte et un patrimoine peu
susceptible de renouvellement. Le cirque est à peine
soutenu, malgré une prise de conscience de son héritage
et de sa créativité actuelle. La France et l'Italie
y consacrent un budget propre. Un emploi
fragile et précaire
L'emploi des artistes est, par définition, aléatoire,
même si certains pays, tel l'Allemagne, ont des troupes
permanentes. Les artistes et techniciens ont des périodes
d'inactivité fréquentes entre deux productions. Certains
Etats, Pays-Bas, Suède, Slovénie, Islande, Finlande,
Hongrie, Estonie et Autriche instaurent des mesures
proches d'un revenu minimum. Le recrutement illégal
est une difficulté propre aux métiers du cirque. Pour
la musique, un certain dumping social se développe à
l'Est. 3/ Les jalons d'une politique
Un engagement de l'Union européenne
Une résolution du Conseil des Ministres reconnaît, en
1991, le rôle du spectacle vivant en Europe. Le programme
Kaléidoscope (1996-98), consacré aux arts de la scène,
a financé 399 projets (152 spécifiquement consacrés
au théâtre, à la danse et au cirque, pour 42% du budget).
En revanche, le programme Culture 2000 a soutenu 80
projets (sur 405) propres aux arts du spectacle pour
20% du budget total. Il est vrai que l'année 2003 aura
pour priorité les arts du spectacle. Il existe aussi
une ligne budgétaire spécifique (A-3042) pour les organismes
culturels européens, tels l'Informal European Theatre
Meeting, la Convention Théâtrale Européenne, l'Union
des Théâtres de l'Europe ou encore l'European Opera
Center. Mais le déséquilibre entre les sommes allouées
à la musique et à l'Opéra d'un côté, au théâtre, à la
danse de l'autre, est patent.
L'Union européenne finance aussi, avec les Fonds structurels,
des projets d'équipement et de rénovation de salles
de spectacle. Et les programmes Socrates, Leonardo et
Connect soutiennent des initiatives pour l'éducation
et la formation aux arts du spectacle. Enfin, pour pallier
l'absence de données statistiques culturelles, trois
groupes de travail sur l'emploi culturel, la participation
aux activités culturelles et les dépenses culturelles
ont été créés en 2000 au sein d'Eurostat.
Un dialogue social et des réseaux
La Fédération Internationale des Musiciens (FIM), la
Fédération Internationale des Acteurs (FIA), EURO-MEI
sont réunies dans l'Alliance Européenne des Arts et
du Spectacle (EAEA), elle-même reconnue par la Confédération
européenne des syndicats (CES). Cette alliance participe
au "Comité du dialogue social européen pour la culture"
réunissant patronat et syndicats en liaison avec la
DG emploi de la Commission. Les réseaux européens oeuvrent
à l'échange d'informations et de bonnes pratiques (Informal
European Theatre Meeting, Convention Théâtrale Européenne),
à la promotion de la coproduction (THEOREM, l'Union
des Théâtres de l'Europe), ou à la formation (Fédération
Européenne des Ecoles de Cirque, PARTS pour la danse,
RESEO pour l'opéra). 4/ Les défis
La mobilité des artistes, la traduction et la
circulation des oeuvres
Les productions chorégraphiques, circassiennes et lyriques,
aisément compréhensibles par tous les publics nationaux
tournent davantage en Europe que le théâtre, confronté
aux barrières linguistiques. Le surtitrage et la traduction
sont désormais des outils indispensables; la traduction
d'œuvres dramatiques contemporaines s'impose.
Les professionnels du spectacle rencontrent tous les
mêmes difficultés à se déplacer en Europe. Des études
récentes permettent désormais un diagnostic clair et
précieux. L'absence de coordination au niveau communautaire
entre les différents statuts des artistes, les régimes
de protection sociale, les politiques fiscales d'une
part, et l'hétérogénéité des accords bilatéraux entre
pays d'autre part, aggravent la vulnérabilité socio-économique
des artistes et professionnels et entravent singulièrement
leur mobilité.
Un système de formation européen
L'enseignement des arts du spectacle est souvent universitaire.
En Europe centrale et orientale il existe une tradition
d'enseignement secondaire. Quelques structures privées,
conventionnées, pallient les manques. Il est à noter
que trop peu d'établissements forment aux métiers techniques
du spectacle (lumière, son, décor, costumes, administration,
etc.). La formation aux métiers du cirque et des arts
de la rue est plus empirique. Après 1970, des écoles
ont été créées en Italie, France, Belgique, Allemagne,
Grande-Bretagne et Pays-Bas. L'itinérance, l'illettrisme,
les droits d'inscription restent des obstacles. Les
danseurs professionnels, dont la carrière est très brève,
sont confrontés à leur reconversion. Très peu deviennent
chorégraphe ou formateur. La formation continue leur
est nécessaire, plus encore que pour les autres professions
du spectacle vivant. Réussir l'élargissement
culturel
Avant la chute du mur, le théâtre fut un espace public,
lieu de résistance et d' identité. Les responsables
de théâtre et les artistes ont joué un rôle essentiel
dans les révolutions de velours. Avec la liberté d'expression
et le développement des médias, le théâtre trouve une
place nouvelle, souvent à côté des anciennes grandes
structures. Les retrouvailles entre l'Est et l'Ouest
sont affaire de répertoire mais aussi de voyages. Mais
les échanges restent limités et déséquilibrés: les artistes
de l'Est sont aux prises avec les barrières administratives
et financières, les artistes de l'Ouest recherchent
la qualité de leur formation.
Les programmes communautaires PHARE et TACIS ne comportent
pas d'objectif culturel, le programme CULTURE 2000 s'ouvre,
en 2001, aux pays candidats, après avoir, grâce au programme
THEOREM, développé une réelle coopération artistique.
Cette action réunissant plusieurs festivals et théâtres
de l'Ouest coproduit, invite et fait circuler des spectacles
de l'Europe de l'Est. Ce travail d'information, de contact,
de repérage, de soutien, permet la création et la circulation
des spectacles. |
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